INSIDE JOB

Tout est parti d'un projet d'écriture que j'ai initié : celui de confronter deux monologues intérieurs, deux trajectoires distinctes ; celui d'un jeune homme et d'une jeune femme. Deux expériences aussi : le jeune homme, au chômage, décide de s'isoler volontairement tandis que la jeune femme, dynamique, se retrouve petit à petit mise sur la touche.

 

J'avais le souhait, en plus de confronter ces deux personnages, de confronter deux écritures, deux voix d'une même génération. J'ai donc demandé à Colyne Morange, metteur en scène et écrivaine nantaise de rédiger l'un de ces deux monologues, pour le mettre en parallèle avec le mien.

 

Finalement, une fois le projet terminé (il y a maintenant deux ans), je me suis intéressé à la force et à la portée que ces deux textes pouvaient avoir, à leur oralité. En fait, j'avais le souhait de porter ces textes à la scène et de les voir incarnés.

 

Ces monologues, je les vois comme des trajectoires de vie, des destins qui se croisent, qui se rencontrent et se font écho.

 

Ici, pas de temporalité. Leur chemin est déjà tracé, et la chronologie des événements qu'ils racontent importe peu : ils n'échapperont pas au dénouement. C'est avec un certain sadisme ludique que j'ai décidé de les malmener.

 

Et si leur destin était, bien qu'entre leurs mains, à la merci du hasard ? 

 

Et si leur vie était un grand plateau de jeu, leurs interventions cadrées par un lancer de dés ? Ces vies, rien de plus et rien de moins qu'une partie de jeu de l'oie ?

Conception, Mise en scène, Jeu:  Quentin Ellias

Jeu:  Anne-Claire Carret

Scénographie:  Alexandre Meyrat Le Coz 

Soutien:  LOLABStomach Company 

La fille:

 

Je n'ai pas reçu de mails depuis hier.

Si, j'ai reçu un mail en réponse à un mail que j'avais envoyé il y a deux semaines

Sinon non.

Hier j'ai reçu 3 mails intéressants, sur 10.

Sinon c'était des news letter. Je ne les ai pas regardées parce que j'avais pas le temps d'aller aux événements proposés de toute façon vu la semaine de folie.

Je regarde encore une fois pour voir.

Du coup j'ai fait un tour, j'avais une grosse journée, entre les achats pour la fête et les préparatifs, la visite au château avec les autres, et puis le repas avec ma mère où j'étais en retard et qui était en retard aussi, la balade du samedi, 

Même pendant tout ce temps là, je n'ai pas reçu de spam

C'est étrange que j'aie pas eu de réponse, j'ai fait le calcul on n'a répondu qu'à 18% des mails que j'avais envoyés, mais comment ça peut avancer vite, si personne ne répond ?

Il est 21:48 toujours pas de mail. J'ouvre la boite une dernière fois ?

Il me faut des réponses, même pour ce soir, si je dois passer chercher Fred ou pas pour aller à la soirée, je ne vais pas y aller sans lui

Il faut des réponses quand même, sinon, je suis bloquée. J'ai déjà du gérer toute la playlist avec gégé

Mais si Fred ne me répond pas, il va falloir que je me décide. Quand même ? ÇA serait bête d'y aller sans lui je ne connais pas beaucoup de gens ce soir à part Gégé et Marie. Il est con aussi d'avoir jarreté l'option appel sur son portable mais bon

Ah...

Ah non bon. Bon j'y vais ?

Allez zou talons aiguilles, rouge passion, yes, 

Heu 

 

Ouais COOOOOOOL let's go !

 


Le mec:

 

Pizza night. Margharita, c’est pas mon truc. J’ai envie de quelque chose d’exotique. Avec des fruits.

Indienne : Pizza prestige. Crème fraîche, raisins secs, sauce au curry, poulet et pâte pan. Je commande sur internet, pas envie de parler à ces cons de standardistes. Ils sont jamais aimables, et c’est pas mon soir, peut  être le dernier qui sait ?

45 min, d’attente, OK.

45 minutes, c’est long....

Personne à skyper, pas de séries à regarder.

J’ai pris une douche. Ça a fait passer le temps. J’ai même fait la totale shampoing, après shampoing.

48 minutes.

Je me taille les poils ? Non, plus tard.

Séchage intensif.

51 minutes.

Le livreur est pas là. J’ai faim.

Est-ce que ma commande a été prise en compte ? Est ce qu’il a trouvé l’adresse ? Merde, je suis pas sûr d’avoir donné mon numéro de téléphone...

55 minutes, Je guette à la fenêtre on sait jamais.

Ça sonne, ouf. Le livreur monte, j’ai rien compris ce qu’il m’a dit à l’interphone, il a un accent bizarre du genre pays de l’est. Russe peut-être.

Je lui ai ouvert la porte. Pas aimable le gars, il me regarde à peine. Il a marmonné quelque chose dans sa langue bizarre avant de regarder quelque chose dans mon appart.

J’ai fermé la porte, vite. Là, ça va pas. Et s’il faisait partie de la mafia ? Tout se bouscule, son accent bizarre, sa façon de zieuter dans mon appart. La pizza a un goût bizarre. Ça se trouve, il a craché dedans, ou alors mis de la drogue.

De la drogue, n’importe quoi. Pourquoi ?

Peut être pour me violer. Ou alors pour venir me piquer ma thune et mes meubles après que je me sois évanoui....Mais oui, c’est pour ça qu’il regardait chez moi. Pour voir si il y’avait des trucs de valeurs. Trop tard, j’en ai mangé.

Il est peut être encore en train d’attendre devant la porte ?

Y’a personne dans l’œillère pourtant...

 

J’ai vomi, on sait jamais.